En ce dimanche pluvieux, petit voyage en Royaume de Norvège (ne demandez pas pourquoi, il n'y a pas de raison particulière).
Anti-UE et membre de l'AELE
La Norvège est l'un des seuls pays d'Europe,si ce n'est le seul pays d'Europe, a avoir eu la lucidité de refuser à plusieurs reprises d'entrer dans l'Union Européenne. Nous avons largement expiqué les causes de cette opposition légitime à l'UE dans l'article "Norvège : les Vikings résistent à l'UE" (http://www.socialisme-et-souverainete.fr/article-15122131.html).
Certains ajoutent comme cause à cette opposition, non mentionnée dans l'article pré-cité, le fait que la Norvège est indépendante depuis relativement peu de temps (fin du XIXème ou début du XXème, avant elle était liée à la Suède) et aurait peur de perdre cette indépendance en rejoignant l'UE. Cependant, le fait que nombre de pays nouvellement indépendants ont aussitot déposé leur candidature à l'entrée dans l'UE ne valide guère cette hypothèse.
Voyons donc plutot dans la résistance du peuple norvégien à l'UE un attachement à la démocratie et à la souveraineté, et donc une preuve de maturité politique.
Cet attachement à la démocratie et à la souveraineté, qui se concrétise logiquement par un refus d'intégrer l'UE, s'accompagne d'un certain pragmatisme : les Norvégiens sont partisans du libre-échange, du moins dans un cadre régional, car ils estiment qu'il améliore l'efficacité de l'économie (par exemple grâce aux économies d'échelle; ou encore à la stimulation de la concurrence,source d'innovation et de croissance). C'est ainsi que la Norvège est membre de l'AELE (Association Européenne de Libre-Echange) depuis le départ.
L'occasion pour nous de faire un rapide point théorique sur les différentes formes de coopérations régionales, mises en évidence par l'économiste Bala Balassa :
-la zone de libre-échange par laquelle les pays membres éliminent entre eux les droits de douane, chaque membre conservant cependant son propre arsenal de protection vis-à-vis des pays tiers n'appartenant pas à la zone de libre-échange. Elle correspond dans la pratique à l'AELE (dont la Norvège est membre) ou encore à l'ALENA (Accord de Libre-Echange Nord Américain entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique)
-l'union douanière qui est une zone de libre-échange + l'instauration d'un tarif extérieur commun. Elle correspond dans la pratique à la CEE de 1968 à 1993
-le marché commun qui est une union douanière + la libre circulation des facteurs de production (capital et travail) à l'intérieur de l'union. Il correspond dans la pratique à l'UE de 1993 à 1999
-l'union économique et monétaire est le marché commun + l'harmonisation des politiques économiques des pays membres + la création d'une monnaie commune. Elle correspond dans la pratique à l'UE depuis 1999.
-l'intégration économique de type Etat fédéral est l'union économique et monétaire + un gouvernement économique européen. Elle correspond dans la pratique à l'UE depuis une semaine,en marche vers les Etats-Unis d'Europe si chers à Trotski (Trotski en rêvait, les capitalistes l'ont fait).
Vous aurez donc compris que ces différents niveaux de coopération régionale s'emboitent comme des poupées russes (ou gigognes), et que la Norvège a décidé d'en rester au premier niveau de coopération régionale (correspondant à la zone de libre-échange), pour profiter de ce qu'elle estime être les bienfaits du libre-échange, sans avoir à supporter les pertes de démocratie et de souveraineté qu'impliquent une coopération renforcée (dans le cadre d'une union douanière ou plus encore d'un marché commun, d'une union économique et monétaire,......).
Ce choix norvégien semble en tout cas porter ses fruits car la Norvège est aujourd'hui le plus riche pays du Monde (en terme de richesse par habitant), même si elle est il est vrai bien aidée par l'abondant pétrole de la Mer du Nord (cependant ça ne fait pas tout, beaucoup de pays ont de fortes richesses naturelles sans pour autant décoller, les richesses naturelles peuvent même bien souvent constituer un obstacle au décollage car elles peuvent inciter à se reposer sur ses lauriers).
Un peuple identitaire
Les Norvégiens sont légitimement très patriotes et très attachés à leur identité, sans être pour autant intolérants ou fascistes car ils ne nourrissent pas à ma connaissance d'ambition expansionniste.
Par ailleurs, ils ne semblent guère gouter à notre concept français d'assimilation républicaine (ce qui est leur droit,nous ne voulons pas imposer nos vues au monde entier contrairement à d'autres......suivez mon regard). En effet, leur conception de l'identité est plus allemande que française : ils voient davantage la Nation comme un peuple et une race que comme une idée ou des valeurs.
En conséquence, bien que dirigée par la gauche depuis bien longtemps, la Norvège est plutot moins touchée par l'immigration que les autres pays d'Europe occidentale. Ceci n'empêche pas l'extrême-droite norvégienne de considérer l'immigration trop importante et de voir en elle un danger pour l'identité norvégienne. Mais l'extrême-droite norvégienne est elle-même porteuse d'un programme économique qui entre en totale contradiction avec un élément de l'identité nationale profondément ancré dans l'âme norvégienne : la soif d'égalité.
Un peuple égalitariste
Bien qu'encore dirigée (symboliquement) par un roi (ce qui est un peu crétin en plein XXIème siècle, mais ça les regarde), la Norvège est depuis toujours attachée à un idéal d'égalité et anti-élitiste.
"Si tu fais une tête de plus que nous, qu'on te la coupe", "l'orgueil mène au déclin", "Tu ne dois pas croire que tu es quelqu'un",........sont autant de formules norvégiennes révélatrices de cet attachement ancestral à ces belles et nobles valeurs, de ce souhait d'éviter de mettre en avant l'individu au détriment de la communauté.
Ceci explique que tout en étant le pays le plus riche du monde, la Norvège est aussi l'un des plus égalitaires d'après l'indice de Gini.
Malheureusement, en Norvège comme ailleurs, les inégalités économiques ont eu tendance à s'accroitre ces dernières années, avec l'apparition de nouveaux riches et de milliardaires.
Cette évolution provoque un certain désarroi chez de nombreux Norvégiens, très attachés aux valeurs ancestrales de leur pays. Pour Erik, chauffeur de taxi à Oslo, "aujourd'hui, le sens collectif disparaît. Les gens ne pensent qu'à l'argent. Nous avions nos propres valeurs, une grande solidarité. Aujourd'hui, nous sommes devenus comme les autres : individualistes, et âpres au gain".
Espérons que la Norvège garde sa prospérité et retrouve son sens collectif afin de rester fidèle à ses nobles valeurs égalitaristes. Peut-être grâce à un socialisme du XXIème siècle.