Très récemment, l’AFEV (association française des étudiants pour la ville ) a lancé un appel pour bannir les notes de l’enseignement primaire en France. Donc fini les zéros, les vingt sur vingt et tout ce qui se trouve entre les deux jusqu’au CM2. Fini le redoublement. Et l’association, ainsi que vingt personnalités (dont le généticien Axel Kahn et le patron de Sciences Po Paris Richard Descoings) de jurer que, meuh non, ce n’est pas parce qu’on ne notera plus et qu’on ne fera plus redoubler que les enfants de la patrie (ou ceux venus d’ailleurs) cesseront de travailler et d’apprendre. Mais plus encore, nos fragiles cadets devraient être protégés contre la pression et le stress engendrés par les notes, et délivrés du système concurrentiel qu’imposeraient les notes, selon les signataires de l’appel. Les notes génèreraient une « spirale de l’échec ».
Un autre argument de poids est la référence à d’autres pays qui, paraît-il encore, ne pratiqueraient plus la notation jusqu’à l’âge de onze ans. Portée au pinacle, la Finlande, et son système scolaire peuplé d’enfants déstressés, sans notation obligatoire jusqu’au collège, et qui obtient les meilleurs résultats mondiaux lors de tests de comparaisons internationaux (tests PISA, qui laissent souvent un goût amer à la France, souvent en milieu de tableau).
Contre cet appel, le syndicat UNI a réagi de façon assez pertinente (ce qui changera de leurs positions sur le communisme et de leur suivisme sarkozyste) en publiant ce contre-argumentaire : les pays qui avaient décidé de réduire l’application des notes reviennent, à l’exception de la Finlande, sur cette décision. Et au sujet du pays de Mannerheim, les anti-notes n’ont retenu qu’une caractéristique de son système scolaire, l’absence de notes au primaire, et pas d’autres éléments tout aussi cruciaux : un pays qui dépense beaucoup pour son éducation, alors que la proportion de mineurs dans la population est plus faible qu’en France, un pays plus égalitaire que la France en termes de revenus, avec un chômage plus faible.
Pour voir plus loin que la Finlande, que les anti-notes citent souvent car c'est l'exemple qui les arrange, on peut voir également le cas de la Corée du Sud, pays très bien classé également aux tests PISA...mais dont le modèle scolaire n'a rien à voir avec le Peace&Love finnois, mais est au contraire très profondément basé sur l'esprit de compétition dont les anti-notes prétendent qu'il serait partout facteur d'échec !
Essayons de voir les choses d’un point de vue un peu plus pragmatique. Dans leurs argumentaires, les anti-notes citent les cas d’enfants « stressés » ou « traumatisés », « stigmatisés » terme à la mode décidément ». Ils évoquent la nécessité de baser l’enseignement sur une logique de coopération plutôt que de compétition. Ils se réfèrent aux dizaines de milliers de cas d’élèves arrivant en 6ème avec des lacunes graves. Ils dénoncent l’arbitraire des notes, le fait de ramener la valeur d’un individu à une seule dimension.
Chacun de ces arguments soulève un problème :
- S’intéresser aux cas d’enfants stressés, et mettre sur le compte des notes leur malheur, c’est ne retenir qu’un seul facteur, en omettant tous les autres (contexte familial notamment). Et c’est surtout raisonner à courte vue, en oubliant l’effet positif que les notes peuvent avoir sur les élèves qui réussissent, et sur ceux qui voient leur progression « objectivée » par des notes croissantes. De la même manière, le redoublement a été critiqué pour son absence d’efficacité sur certains élèves redoublants, en oubliant que pas de redoublement peut désinciter les élèves qui s’en sortent à maintenir leurs efforts. Il est évident qu’il faut s’intéresser aux cas des élèves en difficulté. Mais faire des notes leur problème principal est profondément réducteur, et ne justifie pas qu’on compromette ceux qui s’en sortent ;
- Les élèves qui sortent sans compétences du système scolaire relèvent de cas qui dépassent grandement la note. Le cas du jeune Gabriel, évoqué dans cet article du Nouvel Observateur, est éclairant : il n’a pas peur de la note seulement, mais du fait que l’institutrice s’énerve et ne s’intéresse pas à lui. Nous avons tous rencontrés des enseignants au caractère plus ou moins facile, plus ou moins pédagogues (le système de recrutement des enseignants n’étant justement pas centré, en France, sur la qualité du candidat en tant qu’enseignant, puisque l’admission au CAPES repose principalement sur des examens théoriques, les stages venant ensuite…Voilà sans doute un problème plus urgent que la question des notes). Cet élève aurait-il mal vécu l’enseignement d’un instituteur notant durement mais sans hystérie et en se souciant de chacun (et en ayant le temps de le faire, surtout) ?
- l’argument de la « coopération plutôt que la compétition » est un pur sophisme. Tout simplement car les enseignants n’ont pas attendu l’AFEV pour proposer des examens à plusieurs mains, des travaux collectifs qui n’en seront pas moins notés. On peut donc très bien concilier notation et coopération ;
- On peut critiquer à loisir la façon de noter, les biais qui existent d’un enseignant à l’autre, et citer des exemples absurdes. Par exemple, un élève qui passe de 25 fautes à 20 fautes par dictée aura toujours zéro si chaque faute coûte un point… Mais un enseignant peut réagir en changeant le coût de la note (par exemple ½ point) et laisser le progrès apparaître. Sur le côté « unidimensionnel » de la note pour juger un élève, il faut rappeler aux anti-notes que le système de notation ne fait que préparer les enfants à une réalité de la vie future. Quelque soit la variété de vos qualités et défauts, au final, tout s’additionnera ou se soustraira pour donner une variable unique, simple ou binaire. Par exemple, lors d’un entretien d’embauche, un candidat sera évalué sur nombre de qualités et de défauts, et la note finale est binaire : embauché ou pas. Un candidat à une élection doit présenter ses idées sur de nombreux domaines, et au final tout se règle par un chiffre unidimensionnel : le pourcentage de bulletins exprimés. Ou pour prendre un cas plus cruel : on peut dire bien des choses pour décrire l’attitude d’un automobiliste, il n’en reste que lors d’un accident (qui peut lui aussi surgir de façon très arbitraire), le résultat est binaire (mort ou vivant) voire unidimensionnel (s’il est vivant, son degré d’invalidité). La note transmet ce message à l’élève : tu as sans doute beaucoup travaillé, eu des idées différentes et complexes en abordant la copie, au final ton travail est évalué selon des critères bien particuliers, et il passe…ou pas.
On a déjà sorti plusieurs fois aux anti-notes que leur attitude revenait à vouloir casser le thermomètre pour ne pas avoir la fièvre. Ils s’en sont gaussé en rappelant que contrairement à une température, la qualité d’une copie n’est pas un fait objectif. Mais c’est oublier ce sur quoi porte la comparaison : en supprimant les notes, on ne s’attaque qu’à une partie du problème de l’échec scolaire, la partie la plus facile à supprimer, mais qui reste un symptôme plus qu’une cause.